Sommes-nous en train de vivre une deuxième vague psychédélique ?
La deuxième vague que l’on est en train de vivre n’est pas forcément celle que l’on croit.
Alors que nous sommes submergés par la houle d’une nouvelle période de contamination, une déferlante silencieuse se répand dans la société occidentale : celle de la renaissance psychédélique.
Il se passe quelque chose. Ça frétille. Depuis quelques années déjà, le monde psychédélique est en émoi. Il semblerait que nous soyons entrés dans une nouvelle phase, après les grandes expérimentations des années 1960. Qu’on porte les yeux sur les essais thérapeutiques, la législation qui s’assouplit ou le regain des expérimentations personnelles, les substances hallucinogènes semblent faire leur grand come-back. Et qu’on le dise tout de go : c’est quand même l’une des raisons d’espérer un futur moins austère que celui qu’on nous prédit.
À ce titre, la crise du Covid a joué un rôle d’accélérateur. Mais avant d’en arriver là, petit retour en arrière.
“Tune in, turn on, drop out…” and back again !
Dans les années 1960, les Etats-Unis, puis l’Europe ont connu une première vague psychédélique avec les années hippies, l’avènement du LSD prôné par les apôtres de l’éveil des consciences (Timothy Leary, Aldous Huxley, Allen Ginsberg) et les essais cliniques sur le traitement des maladies mentales dans de prestigieuses institutions médicales. Puis c’est la répression des années Nixon, avec en 1970 le Controlled Substances Act, qui siffle la fin de la partie. La jeunesse américaine est priée de rentrer dans le rang et d’abandonner ses revendications contestataires désobligeantes, qui seraient alimentées par ces psychotropes. En tout cas officiellement, les expérimentations cessent. Car si les recherches publiques s’arrêtent les unes après les autres, les psychonautes n’auront de cesse de continuer à explorer de façon underground et récréative le potentiel de ces produits… jusqu’au milieu des années 2000 où de nouvelles autorisations sont délivrées avec parcimonie et où les études médicales reprennent, laissant entrevoir de nouveaux espoirs en psychiatrie.
La phase psyCOVIDelic
Et nous en aurions plus besoin que jamais. Car pour faire face aux conséquences sur la santé mentale de la pandémie actuelle, les promoteurs des thérapies psychédéliques poussent afin d’accélérer les processus d’autorisation pour utiliser des substances telles que la MDMA ou la kétamine afin de traiter des patients en grande urgence psychiatrique.
La crise du Covid pourrait alors avoir pour conséquence inattendue une accélération de l’usage thérapeutique des psychotropes. Et de l’usage des psychotropes tout court d’ailleurs. L’Imperial College de Londres mène actuellement une étude dont les premiers résultats laissent penser que la période de confinement aura été une période particulièrement propice aux expérimentations. Beaucoup d’individus s’étant subitement retrouvés sans activité ni contrainte horaire, et parfois dans un cadre propice aux sauts dans l’espace ont profité de cette période pour connaître leurs premiers émois psychédéliques.
Nous serions en fait en train de vivre un tournant. D’autant qu’outre le paroxysme lié à la crise sanitaire, d’autres éléments nouveaux par rapport aux années 1960 plaident pour qualifier ce moment de véritable “renaissance psychédélique”.
La pressante question écologique
Par rapport à l’époque de Woodstock, l’une des raisons qui expliquerait le retour massif des psychédéliques dans nos sociétés occidentales est leur rôle dans la prise de conscience écologique. À un moment où on en aurait fichtrement besoin. Précurseur, l’inventeur du LSD, le Suisse Albert Hofmann déclarait que : “l’aliénation à l’égard de la nature et la perte de l’expérience du vivant est la plus grande tragédie de notre ère matérialiste. C’est la cause du désastre écologique et du changement climatique. C’est pourquoi j’accorde la plus haute importance au changement de conscience. Je considère les psychédéliques comme des catalyseurs de ce changement.»
Dans une société où, selon une étude britannique, les enfants seraient plus à même de reconnaître des Pokémons que des animaux sauvages, de plus en plus de monde ressent le besoin de restaurer cette connexion au vivant. Or pour percevoir le rôle sacré de la nature, il se murmure qu’il serait plus efficace de boire de l’ayahuasca une fois dans sa vie que d’élever des animaux sur Animal Crossing.
Est-ce à dire qu’il y a un lien direct entre l’essor récent du vote écologique et le regain d’intérêt pour les psychotropes ? Yannick Jadot distille-t-il quelques gouttes d’acides dans son café le matin pour concevoir le programme de 2022 ? L’intéressé n’a en tout cas pas encore démenti. En revanche, des mouvements écologistes plus radicaux ne font eux pas de mystères sur le rôle qu’ont joué les psychédéliques dans leur création. L’une des co-fondatrice d’Extinction Rebellion, Gail Bradbrook, a ainsi relaté son expérience de cure d’ayahuasca, de kambo (voir l’article sur le confinement au Mexique) et d’iboga au Costa Rica et l’effet que cette expérience avait eu sur son engagement politique. Au point qu’elle plaide désormais pour une désobéissance civile psychédélique où les citoyens “prendraient de la médecine [psychédélique] pour signifier à l’Etat qu’il n’a aucun droit de regard sur la façon dont nous utilisons notre conscience, ni sur comment nous définissons notre pratique spirituelle”.
Avancées technologiques et incorporation dans la tech
Cette frange écologique n’est pas la seule à militer pour une reconsidération de l’importance des psychédéliques dans nos sociétés contemporaines. Le secteur de la tech et en particulier la Silicon Valley (biberonnée au LSD dès ses débuts) a aussi eu un rôle déterminant dans la politique de re-légitimation des psychédéliques. D’abord en devenant le principal pourvoyeur de fonds privés pour financer les études cliniques, mais aussi en regardant de façon bienveillante, voire en accompagnant le phénomène du micro-dosing (qui consiste à prendre de très faibles doses d’hallucinogène à intervalles réguliers pour augmenter sa créativité et sa productivité).
En fait, l’une des données nouvelles dans ce retour psychédélique à partir des années 2010 serait un renouvellement de l’alliance entre les techniques ancestrales d’altération de la conscience et une technologie moderne. Dès ses débuts, Internet a largement contribué à la diffusion d’informations sur les façons d’utiliser et de se procurer des psychotropes mais depuis quelques années, sa frange californienne s’est carrément faite le porte-parole de cette cause.
Elle a même commencé à utiliser le numérique comme médium afin d’accompagner des expériences transcendantales. Exemple parmi d’autres -mais révélateur-, la promesse de l’application Trip, lancée en septembre 2020, est ainsi de vous guider dans vos voyages chimiques. On déclare son intention et son dosage au début de la séance, puis en fonction l’app choisit différents programmes musicaux qui vous font passer par des états émotionnels successifs, de la transformation à la guérison en passant par l’intégration des enseignements. Il y a aussi un bouton pour enregistrer ses fulgurances, et une forme de journal pour relater et consigner ses expériences. Le grand voyage sous iOS.
Ainsi après des années calfeutrées dans la discrétion de la contre-culture, l’expérience psychédélique serait sur le point d’entrer dans le mainstream. Même des personnalités publiques affichent ouvertement leurs expériences (voir l’article de Pablo Maillé ailleurs dans le dossier). Cela va de Mike Tyson qui prétend avoir découvert la subtilité de la douceur (sic !) au cours d’une séance de DMT, à Alain Finkelkraut qui relate dans son dernier livre avoir pris du LSD “3, 4 fois…”. Scrogneugneuujlfjprfz^ùk$u*%£°u.
Et puis autre signe révélateur de cette démocratisation annoncée, les investisseurs privés sentent l’opportunité. Il se pourrait bien qu’au même titre que le cannabis, les psychédéliques deviennent un marché juteux dans les prochaines années si la régulation se poursuit. De nombreux acteurs commencent déjà à se positionner pour ouvrir des cliniques privées. Se pose alors la question de savoir si le processus de légitimation des psychédéliques par la voie médicale, commerciale et légale ne répond pas à la voracité du capitalisme d’intégrer tous les éléments de sa critique, selon la célèbre théorie développée par Luc Boltanski dans le Nouvel Esprit du capitalisme. En clair, est-ce que l’éveil des consciences sera toujours possible quand les cliniques thérapeutiques seront accessibles via un abonnement à Amazon Prime ?
Cela mérite de s’interroger, même s’il semble peu plausible qu’in fine le potentiel émancipateur des hallucinogènes ne déborde pas la seule sphère médicale.
Le futur sera psychédélique ou il ne sera pas
On peut se prendre à rêver et imaginer que les psychédéliques seront à la fois plus accessibles pour les personnes en détresse psychologique, mais aussi qu’ils auront une place plus légitime dans la société. Probablement pas à la manière des sociétés précolombiennes et de ses rites dédiés, en revanche peut-être que l’expérience ne sera plus réservée qu’à quelques aventuriers de l’esprit comme actuellement, mais à une masse significative. Et ça pourrait changer beaucoup de choses.
Car comme l’ont montré en 2012 les chercheuses Erica Chenoweth et Maria J. Stephan en étudiant les mouvements civils : il suffit de mobiliser 3,5% d’une population pour qu’une résistance non violente ait gain de cause et que des transformations profondes s’opèrent dans la société. 3,5% de la population, ça fait combien de gramme de psilocybine ?
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