Le bouton “Méditer”

Aujourd’hui, comme tous les matins ou presque, j’ai appuyé sur le bouton « méditer » de l’application Serenity. Ce simple mot, trois syllabes, sept lettres, écrit en blanc sur fond bleu et entouré d’un rectangle blanc aux bords arrondis est peu à peu devenu le support d’un rituel bien installé du début de mes journées. En pressant mon index sur ce bouton, je déclenche un processus, j’active mon métabolisme, je l’engage dans une certaine direction.

Je considère qu’il y a quelque chose de véritablement poétique à cliquer sur un bouton « méditer ». Un peu comme si on pouvait cliquer sur « jardiner », « tricoter » ou « rêver ». J’aime l’idée que mes interactions avec des interfaces numériques ne se résument pas à des « valider votre panier » ou « vérifier que vous êtes humain ». Cela participe pour moi d’une conception presque érotique au sens de Roland Barthes de mon butinage numérique.

Immanquablement, tous les matins, je réalise ce geste. Parfois avec allant, parfois avec flemmardise. Je m’assois toujours au même endroit, face à la fenêtre, sur un tabouret dont les formes sont prévues pour une assise prolongée. Le plus souvent, je fais trente minutes, vingt quand je suis trop fatigué ou que je suis en retard sur mes activités du jour.

Une cloche sonne. C’est le signal du début. Silence. Le temps commence à s’écouler, et je sens petit à petit l’espace de mes pensées s’élargir. Les cinq premières minutes sont toujours brumeuses. Mon foisonnement mental s’active dans de multiples directions, il est encore grossier, comme un Rubik’s cub dépareillé ou une poterie encore à l’état d’un bloc de terre glaise. Je médite systématiquement le matin (et parfois en plus l’après-midi, après la journée de travail comme pour replier et ranger tous les dossiers qui ont été ouverts sur mon bureau, et préparer un espace intellectuel propre pour le lendemain).

Le matin, souvent, c’est l’organisation du programme de la journée, de la composition des repas, de la planification des tâches domestiques qui s’invite dans mes pensées. Parfois, quand les épreuves de la vie personnelle font que « ça tangue », une thématique s’impose avec cette question : quelle est la meilleure option ? Et alors dans le silence et l’immobilité, mon esprit brasse les différentes possibilités. Il scanne toutes les combinaisons et options qui me permettraient d’aller de l’avant. Parfois je m’assois délibérément en espérant trouver des réponses, et parfois le fait « d’aplanir » mes vagues émotionnelles et d’observer avec plus de distance le tourbillon fait que d’elles-mêmes, les situations se résolvent peu à peu.

Cela fait déjà une bonne dizaine de minutes que je médite. Et alors, peu à peu, l’acte de méditer devient plus facile. Je reviens à mon souffle, à mes sensations. Puis une filière de pensée m’amène à nouveau ailleurs. Pourtant je parviens à revenir à mon centre, de plus en plus fréquemment, inlassablement, dans ce mouvement de balancier sans fin.

Et puis une cloche retentit. Parfois, je pense : « C’est déjà fini ? Je n’ai pas vu le temps passer », parfois, je ressens un : « Enfin ! ». Je conclus ma méditation et me saisis de mon smartphone. Cet objet a encadré ma pratique : c’est la dernière chose que je vois avant de fermer les yeux, et le premier contact physique que j’ai après les avoir réouverts. Comme un sas par lequel on entre et on sort d’un lieu. Je suis dans un état de grande concentration, ce que je constate inévitablement dans la calligraphie de mon écriture alors que je m’attelle à mon travail et commence à rédiger : les mots sont mieux dessinés, moins étalés qu’à d’autres moments de la journée.

Afin de prolonger cette disposition d’esprit, je n’ai pas usage de mon téléphone pendant encore une bonne heure, et ça n’est finalement que deux heures après m’être levé que je désactive le mode avion et que les notifications de messages reçus pendant la nuit colorent mon écran.

Serenity est la plus basique des applications de méditation, je l’utilise depuis un peu plus de huit ans désormais. À l’époque, je l’avais achetée sur l’AppStore 0,99 euros. Elle avait un design élégant et une fonctionnalité unique : celle d’un minuteur. Les quelques avis laissés sur l’AppStore soulignent ses qualités : « facilement personnalisable », « ne nécessite pas la création d’un compte », « fait exactement ce qu’elle est censée faire, ni plus ni moins ». C’est assurément l’application mobile qui est restée le plus longtemps ouverte sur mon smartphone et celle qui a été utilisée le plus de jours différents : au moment d’écrire ces lignes, et selon les statistiques fournies par l’application, je l’ai utilisée 1412 jours différents pour un total de 2027 séances. Ma durée moyenne de session est de 31 minutes et 12 secondes, et la durée totale indique -138 : -46 : -7, ce qui semble être un bug comme le révèlent d’autres utilisateurs dans les avis laissés sur le magasin d’application.

Cette application, comme des dizaines d’autres font partie des objets que j’étudie dans ma thèse, même si celles que j’étudie plus spécifiquement sont regroupées dans une catégorie bien précise. Celles où des applications diffusent des « guidances audios ». Méditer strictement dans le silence, sans voix, sans musique ou sans bruit d’ambiance est une pratique marginale à l’échelle des détenteurs d’applications de méditation et c’est pourquoi je me suis plutôt intéressé à l’artefact qui a connu un essor considérable ces dernières années : les applications de méditation dans leur version « bavarde ».

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