J’ai testé la lampe psychédélique qui fait rêver éveillé
Si vous êtes curieux d’expérimenter des hallucinations visuelles mais que les substances illicites vous rebutent, alors la lampe hypnagogique est faite pour vous. Ce dispositif permet de parcourir des univers mentaux à la géométrie changeante simplement en fermant les yeux et en profitant d’une douche de lumière un peu particulière.
L’être humain a toujours tenté de hacker son esprit pour entrevoir les possibilités incroyables qui s’y jouent. Dans la longue histoire des technologies de modification des états de conscience, il y a d’abord eu les traditions chamaniques recourant à des psychotropes naturels (champignons magiques, plantes hallucinogènes, venins d’amphibiens), puis au XXe siècle les substances chimiques (avec notamment la synthèse du LSD et de la MDMA). Aujourd’hui, nous sommes peut-être à l’orée d’une nouvelle ère où le voyage psychédélique pourrait s’expérimenter à l’aide de dispositifs lumineux combinant informatique, neurosciences et physique.
Ordinateur-chaman
La machine sous laquelle je me suis allongé pendant une quarantaine de minutes dans le cabinet d’une thérapeute de Boulogne s’appelle une lampe hypnagogique (le terme, qui vient du grec, désigne un état de conscience transitoire entre le sommeil et l’éveil). Elle fonctionne en envoyant de la lumière pulsée sur le visage à l’aide de 12 leds ultra puissantes, placées en étoile. D’où son nom de PandoraStar, modèle commercialisé depuis 2015 par l’entreprise britannique du même nom.@
Je ressors de l’expérience avec l’étrange sensation d’avoir été en quelque sorte « mis à jour », dans un étonnant renversement de la relation homme-machine
Une fois la lampe enclenchée, mes paupières à peine fermées, une multitude de couleurs défile à une vitesse vertigineuse, comme un vol de particules iridescentes. Je me retrouve plongé dans des quadrillages « pixédéliques » qui se modifient à mesure que les programmes s’enchaînent. Je trippe. L’ordinateur-chaman me balade dans une succession d’univers polymorphes. Au-delà de l’aspect visuel se joue autre chose, à un niveau plus enfoui, plus inconscient. Je ressors de l’expérience avec le sourire, fasciné de constater cette disposition enfouie dans mon cerveau, et avec l’étrange sensation d’avoir été en quelque sorte « mis à jour » par ce dispositif, dans un étonnant renversement de la relation homme-machine.
Défragmenteur de l’inconscient
Si l’on veut filer la métaphore informatique, on pourrait dire que là où l’ayahuasca, cette liane d’Amazonie aux effets hallucinogènes très intenses, relève du virus modifiant durablement le système d’exploitation, là où la méditation fait office de pare-feu contre les attaques par déni de service du bavardage mental, la lampe PandoraStar, elle, ressemble à un logiciel combinant un écran de veille aux formes ondulantes et un défragmenteur de disque nettoyant dans l’inconscient nos octets-mémoires. Et c’est à deux niveaux distincts mais complémentaires que fonctionne cette forme de sorcellerie du futur.
D’abord, on est immédiatement saisi, quand on se place les yeux fermés sous la douche de lumière multicolore, par des hallucinations visuelles déroutantes. On perçoit des structures géométriques et kaléidoscopiques complexes, dont la dynamique est plutôt plaisante. Celles-ci sont très similaires aux visions obtenues via l’utilisation de substances illicites. La différence, de taille, c’est qu’ici elles sont entoptiques, c’est-à-dire synthétisées intégralement dans le cerveau, et ce uniquement à partir de la stimulation lumineuse rythmique. Ce qui présente tout de même l’avantage, outre d’être légal, de ne pas entraîner le moindre bad trip.
Il devient possible, en quelque sorte, de changer le courant électrique de notre carte mère et de naviguer entre plusieurs niveaux d’activité du cerveau
La seconde dimension de l’expérience, plus subtile, opère en utilisant le phénomène dit de synchronisation cérébrale (brainwave entrainment en anglais). Le cerveau étant un organe électrochimique, son activité peut être mesurée sous forme de champ électrique. Or, à l’aide des leds couplées aux oscillateurs de la PandoraStar, il devient possible, en quelque sorte, de changer le courant électrique de notre carte mère et de naviguer entre plusieurs niveaux d’activité du cerveau. Un peu comme si vous passiez en mode « économie d’énergie », la lampe permet de transiter d’un état d’éveil, où le sujet est plutôt alerte, à un état qu’on appelle hypnagogique, c’est-à-dire qui s’apparente à un rêve mais éveillé : la destination ultime de tout psychonaute.
Pour être précis, il existe une multitude d’états intermédiaires entre sommeil et éveil, et chacun produit un courant électromagnétique spécifique. En jouant sur les fréquences qui donnent le rythme aux pulsations lumineuses, on peut influencer l’activité des rythmes électriques profonds du cerveau, et passer par différents états en lien direct avec les grandes bandes de fréquences caractéristiques. Par exemple la fréquence la plus commune se situe entre 12 et 38 Hz et s’appelle la phase bêta. Elle intervient lorsque le cerveau est excité et activement engagé dans des activités mentales. Une autre est la phase alpha – plus basse, entre 8 et 12 Hz –, qui se caractérise par une activité ralentie, par exemple lorsqu’on ferme les yeux pour écouter sa respiration sur une longue période. Si on descend encore, la lampe permet le glissement progressif vers les vibrations thêta, qui sont celles d’une intense relaxation mentale, et plus bas encore on atteint les ondes delta, celles du sommeil profond. L’activité cérébrale oscille entre 0,5 et 4 Hz.
Comme l’ordinateur personnel ?
Si les lampes hypnagogiques commencent à faire quelques adeptes, c’est que leurs bienfaits seraient multiples. Des développeurs l’utilisent pour booster leur concentration, des artistes pour développer leur créativité, des médecins pour déstresser le personnel hospitalier, des curieux pour s’entraîner aux rêves lucides, et des méditants pour accéder à un état de calme intérieur.
Au-delà de ces aspects bénéfiques, la lampe serait précieuse pour traiter certains troubles psychologiques. Pourtant, la médecine traditionnelle, même si elle commence à s’intéresser aux vertus des substances psychédéliques (après un black-out de plusieurs décennies), considère encore cette technologie avec un certain détachement. « Pour l’instant, il n’y a pas d’étude clinique faisant référence sur cette technologie », explique le docteur Raphaël Gaillard, professeur de psychiatrie à l’hôpital Saint-Anne, à Paris. Ce dernier reste néanmoins ouvert sur le sujet : « Dans la panoplie des outils pour traiter la dépression, on compte déjà des appareils qui fonctionnent selon le principe de stimulation interne, comme la stimulation magnétique transcrânienne, donc pourquoi pas travailler à l’aide de dispositifs fonctionnant sur le principe de la stimulation externe. »
En attendant de faire peut-être son entrée à l’hôpital, cette technologie séduit dans un cadre privé. Finira-t-on par avoir une lampe hypnagogique dans notre salon, à côté de la box Internet ? Pour Alexandre Quaranta, qui commercialise la PandoraStar en France, « son développement ressemble à l’expansion de l’informatique personnelle à partir des années 1980, quand l’ordinateur est peu à peu sorti des labos de recherche ». La lampe hypnagogique présente en tout cas le même potentiel d’expansion des capacités de l’esprit que l’ordinateur personnel. De quoi faire entrer l’expérience transcendantale dans une nouvelle ère, celle du psychédélisme technologique.
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